"Accablant", un rapport révèle l'ampleur de la pédocriminalité dans l'Eglise de France

GLOBE ÉCHOS | 05/10/21 14:21

Une commission indépendante qui a enquêté sur les violences sexuelles au sein de l'Eglise catholique de France a estimé mardi à 216.000 le nombre de mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux depuis 1950, un "phénomène massif" couvert pendant des décennies par le silence.

Si l'on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l'Eglise (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse...), le nombre grimpe à 330.000, a indiqué le président de la Commission indépendante sur les abus dans l’Église (Ciase), Jean-Marc Sauvé.

"Ces nombres sont bien plus que préoccupants, ils sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite", a déclaré M. Sauvé.

Ces chiffres résultent d'une estimation statistique comprenant une marge de plus ou moins 50.000 personnes.

Face à l'ampleur du phénomène, M. Sauvé a appelé l'Eglise catholique à reconnaître sans détour sa "responsabilité".

Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, a aussitôt réagi en exprimant "sa honte", "son effroi". "Mon désir en ce jour est de vous demander pardon, pardon à chacune et chacun", la voix des victimes "nous bouleverse, leur nombre nous accable", a-t-il ajouté.

Véronique Margron, la présidente de la Corref (instituts et ordres religieux) a évoqué de son côté "un désastre": "que dire, sinon éprouver (...) une honte charnelle, une honte absolue". Face à cette enfance qui a été "violentée", face à une "telle tragédie" et face à ces "crimes massifs commis dans (son) église", elle a exprimé son "chagrin".

Une autre donnée avait déjà été révélée dimanche par le président de la Ciase: le nombre de prédateurs, évalué de "2.900 à 3.200" hommes - prêtres ou religieux - entre 1950 et 2020, une "estimation minimale".

- "Indifférence profonde, cruelle" -

Résultat de deux ans et demi de travaux de la Ciase, le rapport de la commission était remis publiquement mardi matin à Paris, à l'épiscopat français et aux ordres et congrégations religieuses, en présence de représentants d'associations de victimes.

L'Eglise catholique a manifesté "jusqu'au début des années 2000 une indifférence profonde, et même cruelle à l'égard des victimes" de pédocriminalité, a déploré M. Sauvé. De 1950 aux années 2000, "les victimes ne sont pas crues, entendues, on considère qu’elles ont peu ou prou contribué à ce qui leur est arrivé".

En préambule à la publication du rapport, François Devaux, figure de la libération de la parole des victimes de violences sexuelles de la part de prêtres et de religieux, a appelé mardi les évêques de France à "payer pour tous ces crimes, en ne mâchant pas ses mots face aux membres du clergé réunis.

"La tâche est abyssale", a-t-il prévenu, appelant à un concile "Vatican III", qui ne serait pour autant qu'un "point d'étape".

François Devaux avait été cofondateur d'une association, La Parole libérée, créée en 2015 à Lyon par des victimes d'un aumônier scout du diocèse de Lyon, Bernard Preynat, et dissoute en mars dernier. Leur combat avait été raconté en 2019 par le film de François Ozon, "Grâce à Dieu".

- Indemnisations -

Le rapport Sauvé sera examiné à la loupe à Rome par le pape François, qui a rencontré une partie des évêques français en septembre et a été confronté à ce dossier de la pédocriminalité dès le début de son pontificat.

La Ciase avait fait de la parole des victimes "la matrice de son travail", a rappelé M. Sauvé. D'abord avec un appel à témoignages, ouvert dix-sept mois, qui a recueilli 6.500 appels ou contacts de victimes ou proches. Puis en procédant à 250 auditions longues ou entretiens de recherche. Elle a aussi effectué une plongée dans de nombreuses archives, de l’Église, des ministères de la Justice ou de l'Intérieur, de la presse...

La Commission a énuméré plusieurs dizaines de propositions dans plusieurs domaines: écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et des religieux, droit canonique, transformation de la gouvernance de l'Eglise...

M. Sauvé a appelé l'institution à apporter une "réparation" financière à toutes les victimes de violences sexuelles en son sein, souhaitant que cette indemnisation ne soit pas considérée comme "un don" mais "un dû".

L'épiscopat avait pris des mesures au printemps, promettant non pas des réparations mais un dispositif de "contributions" financières, versées aux victimes à partir de 2022, qui ne fait pas l'unanimité chez ces dernières ni chez les fidèles, lesquels sont appelés à contribuer aux dons.

Les premières réponses de la Conférence des évêques de France et de la Corref seront annoncées en novembre, date à laquelle les deux institutions se réuniront en assemblées plénières.

 

 

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