1968 et ses suites en Amérique Latine

GLOBE ÉCHOS | 13/03/21 13:19

Les mouvements contestataires de 1968 continuent à faire parler d’eux dans les pays dans lesquels ils ont eu lieu. Leur héritage actuel est d’ailleurs encore vivace. En réalité, ces mouvements étudiants, syndicaux et révolutionnaires ont, à l’époque, touché plusieurs pays d’Amérique Latine conduisant ensuite à une effervescence contestataire et révolutionnaire.

Cependant, l’ensemble de l’Amérique Latine est resté à l’écart des mouvements de 1968 qui correspondent davantage aux réalités sociales, culturelles et politiques de l’Occident. Dans les faits, certaines zones ont connu une forte opposition politique entre 1967 et 1974 conduisant par la suite à des processus d’action révolutionnaire urbaine. Au Mexique, l’année 1968 est marquée par la mobilisation des secteurs étudiants locaux notamment à l’IPN et à l’UNAM. La contestation contre les autorités connait ainsi une brusque effervescence qui se solde par l’intervention des forces de l’ordre en octobre 1968. En Argentine, la contestation étudiante et syndicale de 1968-1969 s’inscrit dans la remise en cause de la dictature militaire (1966-1973) et la volonté d’une alternance politique. Au Chili, l’impasse politique autour de la « Réforme sans la Révolution » conduit à la montée de la gauche révolutionnaire à travers la constitution du MIR. En Uruguay, les Tupamaros représentent un phénomène de guérilla révolutionnaire urbaine qui contribue à la dégradation de la situation nationale. Dans le cas brésilien, la dictature mise en place entre 1964 et 1967 est confrontée à la mobilisation de l’opposition politique, étudiante et syndicale. Parallèlement, les guérillas rurales et urbaines (MR8, ALN) mènent une lutte armée contre le régime militaire qui en retour entame une politique répressive généralisée entre 1969 et 1974. Hormis, les grands centres urbains (Mexico, Sao Paulo, Santiago, Buenos Aires) où se concentre la contestation, le reste de la région demeure peu sensible à la mobilisation internationale étudiante. Cette dernière renvoie à des mécanismes sociaux et politiques propres à l’Occident associés à l’émergence d’une nouvelle génération, les Baby Boomers.

Dans les années 1970, les survivances de la contestation urbaine étudiante se réorganisent afin de poursuivre leur action révolutionnaire armée. La LC23S (Mexique), le MIR (Chili), les Montoneros (Argentine), l’ERP ou le MR8 (Brésil) constituent des groupes révolutionnaires urbains apparus entre 1965 et 1971. Malgré les disparités locales, ils partagent la même origine liée aux groupuscules étudiants, syndicaux et contestataires ayant participé aux mouvements de 1968. Dans les années 1970, ces groupes urbains mènent des actions violentes en zone urbaine tels que des attaques de banque, des séquestrations de figures publiques et des actions de propagande politique (aide sociale, diffusion à la radio, journal clandestin). Leur lutte armée suscite en retour la réaction des autorités gouvernementales ou celles des secteurs conservateurs et contre-insurrectionnels. Ces derniers réalisent dans certains cas des coups d’Etat qui donnent lieu à l’établissement de régimes autoritaires anti-révolutionnaires. Ce phénomène d’opposition frontale entre ces deux bords caractérise la décennie 1970 surnommée les « années de plomb ». Le terrorisme révolutionnaire urbain touche ainsi les pays du Cône Sud et le Mexique, à l’instar des pays européens (Italie et Allemagne de l’Ouest). La contestation initiale issue de la gauche étudiante et syndicale est ainsi réprimée puis donne lieu à une opposition révolutionnaire radicale qui mène une lutte armée contre les pouvoirs en place. Au Chili, le maintien en place de la dictature dans les années 1980 conduit à l’émergence d’une nouvelle guérilla locale, le FPMR qui organise des actions armées en zone urbaine contre les autorités et leurs alliés.

Dans l’essai de Thomas Péan sur les groupes révolutionnaires latino-américaines, le propos distingue véritablement les organisations urbaines des guérillas rurales. Les premières en minorité demeurent fondamentalement liées dans leur ensemble aux mouvements de 1968 et à la radicalisation qui suit dans les années 1970. A l’inverse, les groupes ruraux qui correspondent à la réalité sociale, économique et politique des pays latino-américains demeurent étrangers à la logique de « 1968 ». Ce livre évoque également le cas des « années de plomb » avec la confrontation entre la violence révolutionnaire et la violence contre-insurrectionnelle. Celle-ci est alors provoquée par différents acteurs dont des organisations paragouvernementales, des groupes paramilitaires ou parapoliciers ainsi que des escadrons de la mort.

Guillaume Bati, pour Globe Échos

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