Les artistes et des intellectuels dans les révolutions latino-américaines (1959-1989)

GLOBE ÉCHOS | 19/07/20 21:36

Dès la révolution cubaine de 1959, les artistes et les intellectuels ont joué un rôle fondamental dans la formation, la défense et la diffusion des idées révolutionnaires. Les uns comme les autres animés par une des variantes du communisme : maoisme, castrisme, stalinisme, tiers mondisme, trostkysme mettent ainsi leurs productions artistiques et intellectuelles en contribution de leur combat idéologique. Etat des lieux.

Entre 1960 et 1990, les révolutions en Amérique Latine sous toutes leurs formes -manifestations, prises de pouvoir, contestation, conflit armé etc- suscitent la mobilisation des artistes et des intellectuels locaux. Avant cette époque, l’écrivain et député communiste Pablo Neruda au Chili associe son œuvre littéraire et son combat politique au Chili et à l’étranger. Au début des années 1950, l’orientation du gouvernement chilien en faveur des Etats Unis le pousse à entrer dans la clandestinité à cause de son appartenance au communisme. Au Chili, le monde musical se mobilise en faveur des idées révolutionnaires. Les groupes Inti Illimani et Quilapayun composent des textes qui prennent la défense des classes opprimées et des communautés indiennes. Le chanteur Victor Jara illustre parfaitement l’itinéraire d’un artiste dont le combat révolutionnaire se réalise dans ses œuvres. Composant à partir des années 1960 et notamment sous la Présidence d’Eduardo Frei Montalva (1964-1970), le chanteur chilien se démarque par son combat en faveur de la révolution. L’arrivée au pouvoir de l’Unité Populaire chilienne en 1970 et la dérive progressive de la situation politique précipitent le destin de Victor Jara. En septembre 1973, le coup d’Etat militaire et la prise du pouvoir d’Augusto Pinochet mettent une fin tragique à son parcours puisqu’il meurt de la torture gouvernementale. Au Brésil, les artistes jouent également un rôle déterminant dans le combat politique révolutionnaire. Le coup d’Etat de 1964 et l’établissement d’un régime militaire pousse le milieu musical engagé dans l’opposition voire l’exil. Vers 1967, le mouvement tropicaliste émerge dans le pays en associant musicalité brésilienne, univers hippie et message politique. On compte parmi ses membres Francisco Buarque da Holanda dit Chico Buarque, Caetano Veloso, Rita Lee, Gilberto Gil, Jorge Ben Jor, Elis Regina Mariana Bethiana qui composent et chantent des titres évoquant souvent, indirectement ou non, les méfaits du régime militaire. En Argentine, les chanteuses Violetta Parra et Mercedes Sosa sont les principales représentantes de la « musique à texte » et folklorique en abordant des thématiques politiques et sociales. Le rock argentin avec des groupes telle que La Joven Guardia -La Jeune Garde- contribue également à exprimer les critiques de la jeunesse à l’égard du régime militaire de la Révolution Argentine (1996-1973). Au Nicaragua, l’écrivain Tomas Borges est l’un des membres fondateurs du Front Sandiniste de Libération Nationale.

Le milieu intellectuel français de l’époque tient une place spéciale dans le phénomène révolutionnaire en Amérique Latine des années 1960 aux années 1980. Il convient de rappeler que Paris constitue encore à cette époque le centre politique et cultural pour les artistes et intellectuels latino-américains. La Révolution Cubaine menée par Fidel Castro suscite l’intérêt de la gauche française à cette époque. Le film Cuba Si du réalisateur Chris Marker montre les premiers temps de la révolution à Cuba et les mesures prises par le gouvernement castriste. Jean Paul Sartre rencontre dans les années 1960 Ernesto « Che » Guevara lors d’un entretien en exprimant son admiration à l’égard du révolutionnaire latino-américain. Régis Debray se rend à Cuba, puis en Bolivie et au Chili suivant les itinéraires de la révolution. Les écrivains, les chanteurs engagés, les acteurs et intellectuels de gauche manifestent ainsi leur admiration à l’égard des expériences révolutionnaires de l’époque. Lorsque le régime chilien de Salvador Allende est renversé par les militaires, la gauche française se mobilise en faveur des victimes de la répression et de la situation des exilés. Yves Montand mène ainsi une tournée de soutien aux exilés chiliens. Simone Signoret multiplie les contributions dans les films abordant des thématiques révolutionnaires, politiques et sociales. A la fin des années 1970, France Gall interprète le titre « Diego, libre dans sa tête » qui fait écho aux prisonniers politiques des régimes militaires en Argentine, au Chili et au Brésil.

En réalité, la défense et l’admiration de la gauche, des artistes et des intellectuels à l’égard des révolutions d’Amérique Latine tend à évoluer durant les années 1980. Durant cette décennie, le déclin des idées révolutionnaires contribue à la mutation du corpus idéologique du milieu intellectuel français. Sous la Présidence de François Mitterrand (1981-1995), la gauche française entame une mutation interne vers les idées libérales voire libertaires. Ainsi, Yves Montand, après avoir soutenu les exilés chiliens, devient néo-libéral défendant le libre échange et le capitalisme. La gauche contestataire des années 1960 et 1970 dont le moment « 68 » constitue en même temps l’apogée et le début de sa mutation est donc devenue réformiste voire social libérale.

Thomas Péan, correspondant Globe Échos en Amérique latine

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