Le médecin congolais, Dr Denis Mukwege et l'activiste yazidie, Nadia Murad, Prix Nobel de la Paix 2018

GLOBE ÉCHOS | 06/10/18 12:38

Le prix Nobel de la paix a été attribué vendredi au médecin congolais Denis Mukwege et à l'activiste yazidie, Nadia Murad, ex-esclave des jihadistes, deux champions de la lutte contre les violences sexuelles employées comme "armes de guerre" dans les conflits.

L'un gynécologue de 63 ans, l'autre victime de 25 ans devenue porte-parole d'une cause, Denis Mukwege et Nadia Murad incarnent un élan planétaire qui dépasse le cadre des seuls conflits, comme en témoigne le raz-de-marée #MeToo déclenché il y a un an jour pour jour.

Ils sont récompensés "pour leurs efforts pour mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre", a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen.

Tous deux ont dédié leur prix aux centaines de milliers de femmes victimes de violences sexuelles dans les conflits.

Un Nobel en pleine opération 

Reflétant la liesse qui s'est emparée du pays, l'annonce du comité Nobel a été accueillie par des youyous à l'hôpital de Panzi, que Denis Mukwege a fondé en 1999 à Bukavu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).

"Ce prix Nobel traduit la reconnaissance de la souffrance et le défaut d'une réparation juste en faveur des femmes victimes de viols et de violences sexuelles dans tous les pays du monde et sur tous les continents", a dit le médecin dans une courte déclaration dans sa clinique.

"L'homme qui répare les femmes" – titre d'un documentaire qui lui a été consacré - était dans le bloc opératoire quand l'information est tombée.

"J'étais en train d'opérer quand soudain (les gens) ont commencé à hurler", a-t-il témoigné sur le site Nobel officiel. "Je peux voir dans le visage de nombreuses femmes à quel point elles sont heureuses d'être reconnues. C'était vraiment touchant".

Femmes, enfants et même bébés de quelques mois... L'hôpital a traité quelque 50.000 victimes de viols en deux décennies.

Pour le "docteur miracle" - son autre surnom -, ces violences sexuelles sont des "armes de destruction massive", hélas "pas chères et efficaces".

"Nous avons pu tracer la ligne rouge contre l'arme chimique, l'arme biologique, l'arme nucléaire. Aujourd'hui, nous devons aussi mettre une ligne rouge contre le viol comme arme de guerre", déclarait-il à l'AFP en 2016.

Une histoire dure à raconter

Sa colauréate irakienne Nadia Murad, issue de la minorité yazidie, a elle-même vécu ces horreurs dans sa chair.

Comme des milliers de filles et femmes de sa communauté, elle a été réduite en esclavage sexuel par le groupe jihadiste État islamique (EI) en 2014, avant de parvenir à s'évader.

"Ça n'a pas été facile pour moi de parler de ce qui m'est arrivé parce que ce n'est pas facile, particulièrement pour les femmes au Moyen-Orient, de dire qu'on a été des esclaves sexuelles", a-t-elle rappelé vendredi.

Le prix "signifie beaucoup, pas seulement pour moi mais pour toutes ces femmes en Irak et dans le monde entier" qui ont été victimes de violences sexuelles, a-t-elle dit par téléphone au site Nobel officiel.

Devenue ambassadrice de l'ONU pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains, Nadia Murad, dont six frères et la mère ont été tués par l'EI, milite désormais pour que les persécutions commises contre les Yazidis soient considérées comme un génocide.

Renoncer à la honte 

Les félicitations ont afflué. "Difficile d'imaginer deux gagnants plus dignes", a réagi le Haut-Commissaire de l'Onu aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet.

Le patron de l'Otan, Jens Stoltenberg, a salué des "efforts inlassables" pour faire cesser "les crimes les plus sombres", le président irakien Barham Saleh un "honneur pour tous les Irakiens" et la chancelière allemande Angela Merkel un "cri d'humanité au milieu d'horreurs inimaginables".

La prise de conscience internationale progresse.

Adoptée en 2008 par le Conseil de sécurité de l'ONU, la résolution 1820 stipule que les violences sexuelles en temps de conflit "peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l'humanité ou un élément constitutif du crime de génocide".

Dans la sphère civile, le tsunami #MeToo a aussi marqué les esprits.

"#MeToo et les crimes de guerre, ce n'est pas la même chose", a commenté Mme Reiss-Andersen. "Mais ils ont en revanche un point commun: c'est qu'il est important de voir la souffrance des femmes, de voir les abus et de faire en sorte que les femmes renoncent à la honte et osent parler".

Depuis les premières révélations visant le producteur américain Harvey Weinstein le 5 octobre 2017, le mouvement a fait tomber bon nombre de célébrités et hommes de pouvoir.

L'onde de choc s'est propagée jusqu'à l'institution Nobel puisqu'un scandale de viol a poussé l'Académie suédoise à reporter d'un an le Nobel de littérature 2018.

Le Nobel de la paix sera formellement remis à Oslo le 10 décembre.

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